Festival International du Film de Marrakech : rayonnement mondial et questions en suspens sur la place du cinéma marocain

 


Le rideau est tombé, le 6 décembre 2025, sur les activités de la vingt-deuxième édition du Festival International du Film de Marrakech, ce rendez-vous cinématographique mondial qui poursuit, avec constance et sérénité, la consolidation de sa place sur la carte des grands festivals internationaux, en accumulant les atouts de distinction susceptibles de lui permettre, à moyen terme, de rivaliser avec les plus prestigieuses manifestations cinématographiques mondiales.


Cette évolution remarquable est le fruit d’une vision stratégique claire, en parfaite cohérence avec les Hautes Orientations Royales de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, visant à faire de la culture un levier essentiel du rayonnement international du Maroc, et sous le suivi direct de Son Altesse Royale le Prince Moulay Rachid, Président de la Fondation du Festival, qui veille constamment à l’amélioration de ses programmes et à l’élévation de ses standards organisationnels et artistiques d’une édition à l’autre.


Cette édition s’est distinguée par une présence marocaine notable, aussi bien au niveau de la compétition officielle que dans la section « Panorama », ainsi que par un moment de reconnaissance méritée à travers l’hommage rendu à la grande artiste marocaine Raouia, en signe de reconnaissance symbolique de son parcours et de la contribution des femmes marocaines à la construction de la mémoire cinématographique nationale.


Toutefois, le palmarès a, en parallèle, mis en lumière l’excellence de diverses écoles du cinéma mondial, tout en enregistrant l’absence du cinéma marocain parmi les œuvres primées. Une absence qui ne peut être analysée en dehors de son contexte objectif, lié essentiellement à la relative faiblesse de certaines productions nationales en compétition, comparativement à la force des films internationaux récompensés, tant sur le plan de l’écriture que de l’audace esthétique et des choix artistiques.


Cette réalité impose aujourd’hui, plus que jamais, un exercice de critique responsable de la part des producteurs marocains, qu’ils soient établis au Maroc ou à l’étranger, afin de tirer des enseignements lucides et de répondre à une question fondamentale posée depuis des années : quand le cinéma marocain brillera-t-il dans les plus grands festivals internationaux ? À l’image de l’éclat sans précédent du football national lors de la Coupe du monde Qatar 2022, confirmé par la suite lors d’autres échéances internationales.


La réponse à cette interrogation ne saurait être technique ou conjoncturelle. Elle suppose avant tout la fédération des producteurs marocains au sein d’un pôle professionnel fort et uni, privilégiant la logique de la qualité à celle de la quantité, et faisant de l’élévation du niveau de la production cinématographique nationale un objectif stratégique commun, en conformité avec le Message Royal adressé aux participants des Assises nationales du cinéma en 2012.


Le cinéma marocain est aujourd’hui appelé à passer d’une logique de « cinéma de subvention » à celle de « cinéma de financement », à travers l’amélioration qualitative des projets, l’ouverture sur les mécanismes de coproduction et l’accès aux guichets de financement internationaux, où seuls les projets artistiquement solides et dotés d’un potentiel de circulation mondiale trouvent leur place.


Dans le même esprit, la réalité de l’industrie cinématographique impose une révision profonde des mentalités en matière de distribution, en rompant avec les modèles traditionnels qui réduisent encore la promotion aux simples affiches publicitaires, au profit d’une distribution numérique intelligente capable d’atteindre les jeunes publics, notamment via les smartphones et les réseaux sociaux, tout en réinstaurant le lien de confiance avec le public afin de l’encourager à revenir dans les salles de cinéma plutôt que de se limiter au visionnage domestique.


Par ailleurs, le rayonnement international passe nécessairement par l’ouverture de nouveaux marchés pour la diffusion du film marocain, aussi bien à l’échelle du continent africain, à travers le traitement de thématiques liées à la migration et au vivre-ensemble, que dans les pays de résidence des Marocains du monde, dans la perspective de renforcer leur attachement à leur culture et à leur identité plurielle.


Il ne fait aucun doute que le développement de la production et le renforcement des mécanismes de distribution auront un impact positif sur la situation des salles de cinéma nationales, qui trouveront dans le film marocain une œuvre attractive à programmer, dès lors que le public manifeste l’envie de la voir.


Cependant, le rayonnement cinématographique ne se limite pas au triptyque production–distribution–exploitation. Il s’agit d’une dynamique complexe à laquelle les festivals de cinéma contribuent pleinement. Si le Festival International du Film de Marrakech a réussi son pari du rayonnement mondial, tout comme le Festival National du Film a su renforcer son impact à l’échelle nationale ces dernières années, plusieurs autres festivals et manifestations cinématographiques ont, à des degrés divers, échoué à remplir cette mission.


La cause principale réside dans les dysfonctionnements du système de soutien public, qui a favorisé la logique du nombre au détriment de la qualité et contribué, involontairement, à instaurer une culture de rente au sein de certaines associations organisatrices de festivals, sans réel impact sur l’élargissement du public ni sur le développement de la culture cinématographique.


En dépit de l’existence de festivals respectables par leurs thématiques et leurs invités, nombre d’entre eux n’ont pas réussi à fidéliser un public régulier ni à créer une dynamique culturelle locale susceptible d’encourager l’investissement dans les salles de cinéma des villes qui les accueillent.


D’où la nécessité impérieuse de repenser en profondeur le système de soutien aux festivals cinématographiques, en exigeant des dossiers solides appuyés par de véritables partenaires, en opérant une distinction claire entre festivals internationaux, nationaux, régionaux et locaux, tout en tenant compte des infrastructures des villes hôtes, car il est incohérent d’organiser un festival international dans une ville dépourvue du minimum requis en matière d’accueil.


L’élément décisif demeure le renouvellement des équipes dirigeantes des festivals, à travers l’ouverture à de jeunes compétences maîtrisant les langues étrangères et disposant de réseaux de relations internationales, ainsi que le recours, pour les festivals à vocation internationale, à des personnalités de haut niveau – anciens ministres ou ambassadeurs –, le cinéma étant un instrument majeur de la diplomatie culturelle, nécessitant une expertise politique, économique et culturelle approfondie.


En conclusion, le Maroc en pleine mutation a besoin d’un cinéma fort et de festivals gérés avec une vision stratégique, loin de la culture de rente et de toute recherche d’enrichissement illégitime au détriment de la culture. Les grandes batailles d’aujourd’hui sont celles de l’identité, et le cinéma en est l’un des outils les plus puissants. La « marocanité » du cinéma marocain ne s’accomplira pleinement que lorsqu’il atteindra une véritable dimension universelle.